Le vent des Îles - partie 1
Dernière mise à jour : 18 nov. 2022

LA TRAVERSÉE
Alexandre
Je n’avais jamais mis les pieds aux Îles-de-la-Madeleine avant l’automne 2019. Les photos et les publicités que j’avais vues étaient très belles, mais à mes yeux, ça ressemblait beaucoup trop à l’Île-du-Prince-Édouard, qu’on avait visitée plusieurs fois.
Nos abonnés nous recommandaient souvent d’y aller. La mère de Vale aussi. Ils nous parlaient des paysages, des Madelinots, du homard des îles, des plages. Valérie me disait : « Si tout est réservé un an d’avance et que tout est toujours plein, le traversier, les auberges, les campings, il doit y avoir une raison! ».
Au début de l’été, j’avais communiqué avec l’office de Tourisme des Îles-de-la Madeleine pour obtenir un partenariat. Après un appel et quelques échanges de courriels, ils nous ont offert un projet très intéressant : promouvoir la fin de saison aux îles. On a reçu un paquet de gratuités. En échange, on devait produire du contenu sur les endroits et les activités qu’on avait ciblé ensemble.
C’était notre premier voyage de « professionnels » et une super belle occasion de créér notre portfolio. Depuis notre retour de Floride, à la fin du printemps, on avait réalisé très peu de capsules de PRÊTS pour la route. Il y avait eu un court séjour en Ontario, dans le secteur de la péninsule de Bruce, et quelques vidéos techniques, mais c’était tout.
Au moment d’embarquer sur le traversier, à Souris, à l’Île-du-Prince-Édouard, on s’est rendu compte à quel point on était rouillés! On a pensé avoir raté le départ du bateau parce qu’on s’était éloigné de notre camion pour se filmer. On n’avait pas vu les minutes passer à force de recommencer notre petit mot d’introduction. J’avais aussi pris un temps fou à faire des images de drone au-dessus du port. On est revenus en courant parce que l’embarquement avait commencé sans nous! Finalement, c’était une fausse alerte, on s’était énervés pour rien. L’embarquement ne se fait pas nécessairement dans l’ordre. Ils font entrer les véhicules selon la hauteur et le poids des véhicules pour bien remplir et équilibrer le bateau. On n’a donc pas raté le départ, mais quel stress!
Le voyage en bateau vers les Îles, c’est déjà une expérience en soi. Et, avec mon cœur sensible dans les transports, j’avais peur d’avoir le mal de mer. On a mangé une bouchée au restaurant tout de suite en partant et ç’a aidé. Avec tout ce qu’il y a à faire sur le navire, le bar, le spectacle de chansonniers, la salle de jeux vidéo, les promenades sur le pont, les cinq heures de la traversée ont passé vite finalement.
Je me souviens du premier aperçu de l’Île d’Entrée, juste avant d’arriver à Cap-aux-Meules. Il était sept heures du soir, le soleil se couchait au bas d’un ciel complètement dégagé. Du pont, on voyait ses collines rondes au-dessus des parois rocheuses. Le contraste des couleurs était spectaculaire. Le rouge des falaises, le blanc éclatant des petites maisons avec le vert flash de l’herbe tout autour. On est restés dehors, en mode contemplation, jusqu’à la dernière minute. Je me suis dit : « Okay, c’est vrai que c’est hot ».

En descendant du bateau, on s’est tout de suite dirigés vers l’office de tourisme où nous attendait Léa, la jeune femme qui nous avait donné le contrat. Elle nous a remis notre horaire de visites et nos réservations de camping.
Notre premier emplacement était au Camping Belle-Plage, à Havre-Aubert à l’extrémité sud des îles. Notre site était tout près de la mer. Et c’était tout à fait ça : une belle plage naturelle, sans trop d’intervention humaine, avec une lisière d’herbes longues à l’avant. On a installé la roulotte dans ce décor, en respirant l’air salin sous un ciel rose. Le genre d’endroit que, lorsque je me couche, j’ai juste hâte au lendemain pour me réveiller et ouvrir les rideaux sur la mer.

ICI ON N’A PAS L’HEURE, ON A LE TEMPS
Valérie
Aux îles, on est ailleurs. C’est difficile à décrire. Ça se ressent. Avant d’arriver, on a des images en tête, des falaises rouges, de longues plages de sable, des collines vertes et rondes comme des dos d’éléphant. Mais les paysages ne disent pas tout de l’expérience des îles. Il faut y être pour comprendre.

Déjà, sur le traversier, il y a l’accent qui se promène dans les airs. Un bel accent chantant, moitié acadien, moitié autre chose. Et quand on débarque, on prend toute la mesure de la vibe des îles.
Le lendemain, dès les premiers kilomètres sur la route, on s’est rendu compte qu’on n’arriverait pas à temps à notre première activité. Personne ne semblait pressé. Les automobiles roulaient lentement en se suivant à la queue leu leu sur la route principale, la seule qui traverse les îles du nord au sud. Ils le disent eux-mêmes : « aux Îles, on n’a pas l’heure, on a le temps ».
Les Madelinots n’accueillent pas les visiteurs avec un vague intérêt détaché, comme c’est si souvent le cas dans les endroits touristiques. Ils nous reçoivent comme s’ils nous connaissaient déjà, comme un ami qu’on n’a pas vu depuis longtemps. Il n’y a pas de gêne, tout est simple et authentique. Ils ne s’inventent pas une vie, ils sont eux-mêmes, fiers de leurs racines, de leurs îles et de leurs produits.
Le lendemain de notre arrivée, on a fait une tournée gastronomique : la Fromagerie du Pied-De-Vent, l’entreprise de culture d’huitres Culture du large, le Fumoir d’Antan et la maison du Barbocheux, celui qui se nomme lui-même « l’ivrogne qui vend de la bagosse ». Et c’est ce dernier arrêt de la journée qui m’a vraiment plongée dans l’esprit et le rythme des îles.

Le Barbocheux, c’est l’entreprise de Léonce et Sylvie, un couple de Madelinots qui fabrique des breuvages alcoolisés à base de petits fruits. La boutique est annexée à leur résidence de Havre-aux-Maisons. Lorsqu’on y entre, on entend la voix de Léonce, grave et théâtrale. Tout de suite on devine qu’on a affaire à un personnage. Après dix minutes à ses côtés, on est conquis. Léonce le Barbocheux[1] fait beaucoup plus que vendre son alcool : il le raconte. Avec sa posture penchée et ses longs cheveux frisés à la Beach Boy, il nous parle de sa bagosse[2] et nous raconte l’histoire des îles, comment elles se sont formées, comment elles se sont développées. Des histoires vraies, d’autres un peu plus farfelues, des salées et des comiques, un peu basées sur la science, mais le plus souvent saupoudrées de curieuses légendes. J’étais captivée. Je ne voulais pas le quitter des yeux, il en avait tellement à dire! Il est resté avec nous très longtemps, sur la terrasse de sa maison. On l’a filmé, on l’a écouté, on a goûté à son alcool. On aurait pu y passer la soirée.